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Une nouvelle vie

Effet garanti : le Père Noël me parle en direct et me regarde par l’œil magique qui clignote, jouant le rôle d’un vu-mètre. Du coup je me tiens sage comme une image dès que cette radio est allumée et je garde pour moi le secret de la sévérité de mon école pour ne pas créer de problèmes.

Je suis scolarisé dans une institution catholique aux Remparts d’Enais, à cent mètres de notre maison. Je suis marqué par les sévices qu’on inflige encore aux élèves. Coups de règles sur les doigts, la tête, le bonnet d’âne dans un coin de classe, tout cela passe encore, mais aujourd’hui j’assiste à une chose effroyable : lors de la sortie de l’école, filles et garçons se retrouvent dans la rue. Là, je ne sais pour quelle bêtise, un garçon se voit déculotté devant tout le monde, devant les filles ! Les fesses à l’air, il pleure devant les coups et la honte qu’on vient de lui infliger. J’en ai froid dans le dos et je suis gêné pour lui. Un malaise profond s’installe en moi. L’effet psychologique est destructeur, je ne veux plus aller dans cette école, chaque jour de classe est un calvaire pour moi. Je me rends le midi à la cantine, même rigueur, même silence à table. Où est ce Maroc si chaud où tout était plus humain, plus beau et plus doux ?

Nous changeons de maison au bout de quelques mois, nous restons dans le même quartier entre Pérache et la place Bellecour. Le nouvel appartement est un vrai labyrinthe, fait de petits couloirs étroits et de pièces froides et austères, il doit faire partie d’une énorme habitation bourgeoise de la fin du siècle dernier. Tout est noir, le hall, l’escalier, la cour... Mais au moins l’appartement est plus grand et il y a cette petite cour entre les murs sales des bâtiments voisins où je peux jouer avec un copain.


 
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Une nouvelle vie

Il a un camion Shell Dinky-Toy et moi, de la même marque, un autobus parisien. Nous nous les échangeons avec bonheur, le jouet d’un autre enfant est toujours plus beau que le sien. Il est vrai qu’en ces années 50, les enfants sont nombreux à avoir peu de jouets, le père noël ne doit pas être très riche et le petit cadeau qu’il apporte à noël est précieux et fait rêver.

Danielle Serano, ma première petite « amoureuse » - oui, c’était quand j’étais jeune, maintenant j’en ai 8 ! – nous a rejoint à ma grande joie. Tout comme moi, elle est revenue sans ses parents qui l’ont confiée aux miens et attend leur retour dans notre appartement.

Une année passe depuis notre arrivée sur Lyon et ma sœur, Marie-Dominique, que je surnommerai vite « Mike », vient au monde. Je la regarde au pied de l’hôpital. Elle est à la fenêtre et mon père la tient dans ses bras. Autre bizarrerie de cette époque, les enfants n’ont pas le droit d’entrer dans la partie maternité. Elle est comme le fruit d’un miracle de la nature. Nous sommes deux à présent, on va pouvoir jouer ensemble. Il me semble que mes parents m’ont déjà parlé d’une petite sœur qui serait née quelques années avant moi mais qui est décédée...

Quand mon père annonce que nous allons partir vivre à Grenoble, je suis aux anges. Mon père va travailler à la caserne Hoche de Grenoble comme chef des transmissions. Notre arrivée dans la région me réjouit. Nous habitons sur une place d’un petit village qui s’appelle La Monta, près de Saint Egrève. Les temps restent durs, mon père nous rapporte quelques fois de la viande ou du cassoulet des cuisines du mess des officiers et c’est jour de fête. Il rentre tard : après son travail, il va prendre des cours d’électronique et de chimie.