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CHAPITRE 4

NAISSANCE D'UNE PASSION

Passer ces jeudis matins à l'école, même si c'est pour la chorale, n'a vraiment rien d'enchanteur. Je rêve d'aller rejoindre mes voisins de l'étage en dessous, qui sont parmi mes meilleurs copains.
(A Grenoble)
Aussi, pour cette première fois, je traîne mes pieds et aborde un air boudeur qui en dit long sur cette contrainte. Je franchis la grande porte de bois de l'entrée principale de l'Aigle et m'engage sur la gauche d'un long couloir désert qui mène dans une pièce située à l'arrière de la chapelle de l'école. Je suis en retard mais je m'en fou. Après tout, si je suis là en dehors des heures de classe, c'est bien parce qu'on m'y a contraint, je n'ai vraiment rien demandé à personne.

J'entrouvre timidement la porte, derrière j'entends les conversations bruyantes de mes copains qui, comme moi, ont dû aussi venir à reculant, c'est évident. Tiens c'est bizarre, ils rient...
- " Ah, te voilà ! Viens t'asseoir ici... Bon, un peu de silence, nous allons commencer" s'exclame le Frère Pacifique, le sourire aux lèvres.
Et là, tout devient magique : nous, les soprani, nous chantons 'Le vigneron" : "Le vigneron monte sa-a vigne, où es-tu-u vigneron..." une chanson que je connais déjà, je l'ai apprise en classe de musique.

 
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Naissance d'une passion

Les autres, les alti, les ténors et les basses, en chantent chacun une autre, mais… avec le même texte ! Et puis soudain le Frère Pacifique nous demande de chanter tous ensemble ces différentes mélodies et toutes ces mélodies se fondent à merveille pour n'en faire qu'une, c'est prodigieux ! Je viens de découvrir sans le savoir l'harmonisation. Ce qui est sûr, c'est que le Frère Pacifique est un vrai magicien. Drôle de bonhomme, je suis envoûté et plein d'admiration pour ce chef d'orchestre et sa baguette (magique elle aussi ?)
En plus, il est sympa : en sortant il nous distribue des bonbons, des berlingots :
- " Bravo, tu as bien chanté pour une première fois, me dit-il, ça t'a plu ? "
- " Heu… oui m'ssieur, c'est… c'est… magique ! " J'entends ces paroles sortir de ma bouche, je pense qu'il va me prendre pour un idiot. Au contraire, il replonge la main dans sa boîte et m'offre un deuxième berlingot avec un sourire malicieux.

Les jeudis se sont succédés et je suis loin à présent d'y traîner les pieds ! Mon admiration ne cesse de grandir pour cet homme passionné. J'aime flâner en prenant un chemin différent de mon trajet habituel et au retour de la chorale, je passe devant un magasin de musique. Je suis soudain attiré par un écrin long, une belle boîte recouverte de cuir bleu et tapissée d'une soie blanche où semble éclater de mille feux une vraie baguette de chef d'orchestre.