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Le Midi

Mai 68 ne se passe pas trop mal dans cette petite ville tranquille du Vaucluse. Pas de cours, les beaux jours, les amours… Que demander de plus. Sauf que toutes les stations affichent « plus d’essence » et qu’il me faut faire du stop, arborant un grand sourire pour convaincre les rares voitures qui passent de ne pas me laisser sur le bas côté et aller retrouver les Blues Singers. Nous jouons souvent les dimanches après-midi au Mira Dancing de Miramas, un ancien cinéma. C’est un peu notre fief, notre Olympia ! Celle salle deviendra mythique pour les jeunes de Miramas et ses environs.



L’année suivante, je me retrouve en fac de Sciences Economiques à Aix en Provence. Ma vie est devenue celle d’un chanteur d’orchestre et d’un étudiant. Si les soirs, je chante souvent avec mon orchestre où d’autres (comme l’orchestre des Diamants qui me fait rêver, par la qualité et le nombre de ses musiciens, d’y entrer un jour), la journée, et la première année, je fais en parallèle de Sciences Eco, une année de Droit, pour voir laquelle des deux options est la plus sympa ; très vite je me rends compte que le Droit demande trop de par cœur et l’abandonne en fin d’année.



 
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Le Midi

La deuxième année se double d’une année de Sciences Po, mais là encore je comprends vite que faire deux études en même temps compromet les chances de réussite. D’autant qu’une ou deux visites importantes viendront changer ma double vie : la première, un chanteur de jazz noir américain, Fitz Gor, me confit un soir qu’en m’écoutant au Mira Dancing, il avait fermé les yeux et avait eu l’impression d’entendre un chanteur noir. C’est pour moi un énorme compliment et je me prends à rêver que je pourrais être un chanteur reconnu, aimé d’un public qui ne viendrait plus pour danser mais pour m’écouter, comme on le fait pour un vrai artiste. Je me mets alors, le temps de son séjour en France, à le suivre et fréquenter des boîtes de jazz où il se produit en Provence et dans des caves de Saint Germain, à Paris. Mais l’examen de ma licence approche et je dois l’abandonner, comme on abandonne un rêve inaccessible pour me mettre dans les bouquins à réviser et rattraper le retard que j’ai pris.

L’été est maintenant bien là, la fac est désertée et les bals reprennent de plus belle. Un soir, un garçon se présente à moi :
- « Je suis Gérard Jacquemus, l’ancien bassiste des Chats Sauvages, j’aimerais bien qu’on parle un peu ».
Il me propose alors de venir chez lui pour envisager un séjour à Paris et enregistrer une maquette, voir la sortie d’un disque.