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Mon cher Maroc

Nous arrivons dans une maison en pisé (faite de terre et de paille) très humble. Il nous présente sa famille et comme par enchantement, le thé à la menthe est déjà servi accompagné de gâteaux au miel et de crêpes de forme carrée que l'on réchauffe dans du miel et saupoudrées de cannelle et de sucre glace. Nous ne repartirons que très tard dans la nuit, après avoir avalé quelques trois ou quatre plats d'entrées et au moins trois plats de résistance, dont un couscous et un ventre à éclater. J'aurai tout le mal du monde à glisser en cachette un billet de quelques dirhams pour participer aux frais de cette famille pauvre que notre présence aura crée, en priant qu'ils ne comprennent pas d'où vient cet argent, et, par ce fait, de ne pas les vexer.
(L'anniversaire de mes 6 ans)



En 1953, les << événements >> se précisent et mes parents veulent me protéger. Ce départ du Maroc sans eux, me laisse un goût d'amertume. J'ai presque sept ans et je ne comprends pas. Je ne comprends pas pourquoi ce départ précipité, pourquoi ces dialogues de grands qui laissent entendre des massacres ça et là et pourquoi en France il fait si froid (c'est l'hiver), pourquoi mes cousins ont le droit de sortir de la maison de mes grands parents pour jouer dans la neige et pas moi. Pourquoi, pourquoi.... Pourquoi me disent-ils tous :
- << Non, tu ne sors pas, tu vas prendre froid >>






 
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Mon cher Maroc

Je me retrouve inscrit dans une école à Chalons sur Marne. Heureusement, je trouve vite de nouveaux repères. On me regarde comme une bête curieuse à l'école. Normal, je fais croire que je ne sais que parler arabe, hormis quelques mots en français quand ça m'arrange. Du coup, on me fiche la paix avec un regard attendrissant pour ce petit garçon qui revient d'un pays de sauvages et qui a survécu ! Moi, je jongle entre paroles et silences pour que mon grand-père, qui est chef infirmier de l'école des Arts, n'apprenne rien de cette situation. Tant que cela durera, ce sera génial, et puis, je ferai des progrès considérables en français pour avoir de bonnes notes et bluffer tout le monde. Jusqu'au jour où mon grand père vient prendre des nouvelles concernant mon adaptation à l'école.
- << Oh oui, c'est un très gentil garçon, et il progresse si rapidement en français, on en a parfois les larmes aux yeux ! >>
Mon grand-père me lance un regard réprobateur, mélangé à cette tendresse qui le caractérise en homme bon qu'il est…



Je ne reçois des nouvelles de mes parents que par lettres trop rares. Ils me manquent, mais curieusement je me complais dans cette situation où je suis dorloté et où on me pardonne mille bêtises :
- << Le pauvre enfant, ce doit être sa façon de lutter contre l'absence injuste de ses parents. Et puis, quand il veut, il sait être si mignon >>

L'été arrive enfin et je reprends toute mon assurance. Peut-être à cause du soleil qui revient enfin et caresse tendrement ma peau quand je ferme les yeux. C'est si bon.